Santé féminine : un marché de niche qui concerne la moitié de la population mondiale
Dans un monde en quête d’égalité, la santé demeure un domaine où les inégalités entre les femmes et les hommes persistent. Sandra Joly Guicheteau, Deputy Managing Director et Head of Consumer Branding chez Lonsdale Design, partage son point de vue.
La fin de l’invisibilisation des femmes ?
Historiquement, la recherche médicale est souvent partie du principe que les résultats obtenus chez les hommes lors d’essais cliniques seraient transposables aux femmes. De fait, l’essai de Caroline Criado Perez, « Femmes invisibles, comment le manque de données sur les femmes dessine un monde fait pour les hommes », démontre de manière implacable que les femmes sont tout simplement absentes de la majorité des études statistiques, au détriment de leur santé et de leur sécurité. Cette pratique a conduit à une méconnaissance des spécificités féminines dans la réponse aux traitements et dans l’évolution de maladies, mais pas seulement. Ainsi, si les femmes ont souvent froid sur leur lieu de travail, c’est parce que la température des bureaux est basée sur le métabolisme d’un homme. Si elles sont plus susceptibles d’être gravement blessées lors d’accidents de la route, c’est parce que les tests de sécurité sont effectués sur des hommes d’1,77 m pesant 76 kilos.
Cette même invisibilisation a longtemps touché ce qui relève de défis plus spécifiques. On pense à la ménopause, une étape naturelle de la vie d’une femme, qui n’a été sérieusement étudiée qu’à partir des années 1950 et 1960, ou à l’endométriose, qui touche une femme sur 10, et n’est toujours pas pleinement comprise. Cette lenteur dans la reconnaissance et l’adaptation des soins médicaux pour une maladie aussi répandue met en évidence les lacunes persistantes dans la prise en charge de la santé des femmes.
Ce que ces disparités soulignent, c’est la nécessité d’une approche plus inclusive en matière de santé. Ainsi, selon les données du Forum Économique Mondial, la réduction des écarts de santé entre les genres permettrait à davantage de femmes de vivre une vie de meilleure qualité, et donnerait un coup de pouce à l’économie mondiale à hauteur de 1000 milliards de dollars par an d’ici 2040.
Une prise de conscience par les marques, par les femmes et pour les femmes
Un changement semble pourtant à l’œuvre, qui, à mesure que le tabou entourant la santé des femmes se dissipe, crée un environnement propice à l’innovation. Parmi les start-up de la femtech les plus connues, on peut citer Clue, créée en 2012, qui compte aujourd’hui plus de 10 millions d’utilisatrices à travers le monde. En quelques années seulement, de nouvelles marques ont émergé pour proposer une large gamme de solutions, allant du diagnostic de l’endométriose (Ziwig) et du dépistage du cancer du sein (b-rayZ) aux solutions de suivi de la fertilité (Daysy ou Hertility ) et à la réduction des symptômes de la ménopause (Omena).
Une des causes de cette prise de conscience ? Selon le baromètre 2024 réalisé par l’association Femtech France et le cabinet de conseil Wavestone, sur les 140 start-up Femtech tricolores répertoriées, 94 % ont été cocréées par des femmes. Des innovations pensées pour les femmes, par les femmes.
De fait, les marques qui se lancent sur ce secteur de la santé et du bien-être féminins sont animées par le désir sincère de résoudre des problèmes auxquels les fondatrices ont le plus souvent été confrontées elles-mêmes. De leur expérience personnelle naît leur volonté de répondre à un besoin longtemps incompris voire négligé, souvent avec beaucoup d’empathie. En ce sens la créativité dont fait preuve ce marché est un bon rappel pour les marques de toutes catégories et de tous secteurs, de l’importance d’intégrer des consommateurs dans les processus d’innovation, pour s’assurer que les produits ou services rencontreront un vrai besoin, et ainsi créer des marques qui touchent les gens et suscitent un engagement fort et authentique.
Et lorsque la parole se libère, ouvrant la voie à un discours plus positif et inclusif, cela se traduit directement dans le design, le branding voire dans le modèle retail de ces nouvelles marques de l’empowerment féminin.
D’un produit de première nécessité à une approche plus lifestyle
La création de nouvelles marques plus décomplexées, l’accessibilité des produits sur Internet, en vente directe, désacralise la santé et l’inscrit dans un univers de consommation élargie plus lifestyle, à travers ses codes et ses rituels.
De la gestion du cycle hormonal à la sexualité, en passant par la maternité et la ménopause, chaque phase de la vie d’une femme offre des perspectives uniques pour développer des produits et des services adaptés. Une occasion pour les marques de devenir de vrais partenaires de tous les moments de vie, en proposant des rituels, pour s’inscrire durablement dans les habitudes.
Les différentes postures de marques :
Ces marques, souvent nouvelles sur le marché, se distinguent par différentes postures qui répondent à des besoins émotionnels et physiques :
The moment partners : Ces marques, comme Talm, Panda Tea, Nadaya, Jolly Mama et la Hot Chocolate Bar for Menopause de Adore, se positionnent comme des partenaires des moments importants de la vie des femmes. Elles proposent des produits plaisir et réconfortants spécifiquement conçus pour accompagner les femmes dans les étapes clés telles que le post partum, la gestion du cycle menstruel, ou encore la ménopause. Leurs packagings modernes, sobres ou colorés, et leurs territoires de marques chaleureux et accueillants, ainsi que leur discours empathiques et rassurants, en font des alliés de confiance.
The Confidence Builders : Des marques telles que Paula’s Choice, Better Not Younger, Womaness et Mutha misent sur l’empowerment et la confiance en soi. Elles offrent des cosmétiques, des produits capillaires, des soins mais aussi des contenus éducatifs qui permettent aux femmes de se sentir belles, fortes et sûres d’elles, notamment à la ménopause. Leurs designs sophistiqués et leurs discours inspirants et assertifs reflètent une approche résolument positive et renforcent le sentiment de confiance de leurs utilisatrices.
The Experts : Dans cette catégorie, des marques comme Typology, Rael et Hempress se présentent comme des expertes dans leur domaine. Elles sont pointues et spécialisées sur une problématique précise de la femme. Leurs packagings minimalistes ou au contraire vibrants, et leur communication scientifique mettent l’accent sur la transparence et l’efficacité, attirant des consommatrices en quête de produits sérieux et fiables.
The Daily Caregivers : Des marques comme Ballot Flurin, MyOovi, et Head South sont conçues pour offrir des solutions pratiques et accessibles au quotidien, notamment lors des règles et pour le confort sexuel. Elles se concentrent sur l’amélioration du confort et du bien-être quotidien des femmes, en proposant des produits simples à utiliser, mais efficaces et surtout fonctionnels. Leur discours est direct et positif, rendant leurs produits particulièrement adaptés à une utilisation régulière.
Ces postures de marques montrent une évolution vers une approche plus humanisée, plus proche des besoins et des émotions des consommatrices.
Dans leur design, ces marques s’affranchissent du seul besoin de réassurance ou des codes très cliniques. Territoires de marques plus singuliers voire assertifs (Mutha), packagings plus sobres (talm, NAYDAYA) et moins santé/innocuité, ou au contraire carrément bold (Awesome woman), avec des couleurs vives, des illustrations, des dégradés ou des typographies élaborées, tons de voix travaillés pour être plus simples et plus empathiques, clarté des messages, apparition de sensorialité (Phenology), ces nouvelles marques adoptent de nouveaux codes directement issus d’autres catégories – notamment cosmétiques – et/ou des réseaux sociaux… Elles revendiquent une esthétique désirable bien loin des produits que l’on cache au fond de son caddie.
Construire des marques pour tous les corps
Cette meilleure compréhension des expériences uniques et variables dans le domaine de la santé des femmes inspire les récits de marque. L’individualité et la différence ne sont pas seulement prises en compte mais célébrées. Cette approche a une influence considérable sur l’ensemble de la catégorie, non seulement sur les marques pionnières, mais aussi sur celles qui ont une longue histoire dans le secteur de la santé en général. Les marques intègrent une représentation plus inclusive dans leur discours, et s’éloignent des stéréotypes, à l’image de August et Cora. Un discours, un design et des représentations plus inclusives qui permet aux marques de santé féminine de renforcer leur capital de marque, et de changer les perceptions, contribuant à réduire lentement mais sûrement l’écart en matière de santé.
Un travail qui pourrait inspirer aussi d’autres secteurs.
QUELLES OPPORTUNITES POUR LES MARQUES ?
1- La levée des tabous est une opportunité d’innovation pour les marques de toucher tous les moments de la vie des femmes, qui représentent la moitié de la population mondiale.
2- Une approche holistique, du produit de santé à une vision lifestyle. Cette vision de la santé sensible, singulière, changeante, plus personnelle, est l’occasion d’amener plus de plaisir, d’émotion et d’esthétisme à travers le territoire de marque et le packaging.
3- De l’importance d’inclure les femmes dans le design des solutions.