INTERVIEW DE FRÉDÉRIC MESSIAN, PRÉ­SIDENT DE LONSDALE, Parue dans le Design fax 1218 du 20 décembre 2021

Frédéric Messian, comment allez-vous ?

F.M. Très bien, mais on estimait terminer l’année en fanfare et finalement cela ne va pas être aussi facile qu’on le croyait… L’incertitude sanitaire a des effets immédiats : ainsi, les budgets de déplacement de nos clients sont encore coupés de 50% par rapport à ce qu’ils étaient en 2019. On pensait que les choses allaient retrouver un peu de normalité, mais non : on est repartis dans l’émo­tion et cela handicape notre fonction­nement. Par exemple, on a l’habitu­de d’organiser tous les ans une fête d’agence, et ce coup-ci on l’a annu­lée. Cela est une déception pour les équipes et pèse sur leur moral. Bon : pardonnez-moi ce mouvement d’humeur, mais il fal­lait que je le dise !

Lonsdale 60 ans: c’est quelque chose!

F.M. Oui, c’est formidable. Permettez-moi à ce propos de rappeler quelques bribes de l’histoire de Lonsdale. L’agence a été créée en 1961 par Ri­chard Lonsdale qui s’est associé avec la famille Du­puy (ndlr : le « Dupuy » de Dupuy-Compton, célèbre agence de publicité des années 1960 et 1970). L’his­toire de Lonsdale se confond d’ailleurs beaucoup avec celle du design français, tout comme ce fut le cas pour l’agence française de Raymond Loewy (ndlr: que Lonsdale avait un temps songé à racheter). Lonsdale a fait du design thinking avant la lettre, avec par exemple, en 1969, la première bouteille d’Évian en PET (ndlr: polytéréphtalate d’éthylène) qui relève d’une excellente analyse des usages : il fallait une bouteille légère pour les enfants et les personnes âgées, c’est-à-dire une population qui avait du mal à porter un pack de six bouteilles en verre. Cette nou­velle bouteille d’Évian est l’archétype d’une réponse réussie à un besoin consommateur. En 1982, on a conçu la Vizirette, une boule translucide, avec l’ap­parition des premières lessives liquides. On a aussi dessiné les premiers distributeurs automatiques de billets et réinven­té le Minitel. Sans oublier la refonte du fameux logo de La Vache qui rit, l’identité de Baccarat, de Nicolas, des Croisières Paquet et plus récemment Formule 1, Campanile, La Halle, Noci­bé, Vélos et Oxygen ou encore Buffa­lo Grill. On a un patrimoine de références absolument incroyable, avec 60 ans d’innovation tournée vers les marques. Et puis, n’oublions pas que c’est Paul Ber­çot, l’un des patrons de Lonsdale, qui a fait inscrire le mot « design » dans le Larousse. Pour l’anecdote, quand en 1981 il y a eu un incendie dans les bureaux de l’agence aux Champs-Élysées, c’est le même Paul Berçot, qui, habitant juste en dessous, était dans les décombres en robe de chambre de soie pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être ! Et toujours Paul Ber­çot qui disait en 1975 : « à la faveur de la crise pétro­lière un certain nombre d’entreprises ont réduit leur budget publicitaire. Pourtant, nous savons tous que le budget éphémère n’est pas suffisant ». Cela pour vous dire que chez Lonsdale les choses s’appréhendent globalement et dans la durée. Bref, tout cet historique m’a séduit lorsque j’ai racheté Lonsdale en 2007, avec cet ADN qui vise à comprendre et devancer les souhaits des consommateurs. En 2007, Lonsdale ne réalisait plus qu’un million d’euros de marge brute. Aujourd’hui, Lonsdale c’est 25 fois plus et 200 colla­borateurs. Une dizaine d’acquisitions a été réalisée : dans le digital, le contenu, l’architecture ou le retail. Dans les dix prochaines années, Lonsdale va de plus en plus être perçue comme une plateforme de bran­ding et de design où tous les métiers seront repré­sentés dans le but… de s’assurer un avenir radieux. Je précise que nous sommes l’une des organisations les plus horizontales du marché – et j’en suis la caution morale. Nous avons de grands confrères qui ont leur nom sur la porte ou qui sont dans un modèle de ma­nagement très centralisé. Pour ce qui me concerne, j’aime beaucoup les postures de transmission et cette volonté anime Lonsdale, en parallèle de l’empreinte que nous laissons depuis 60 ans sur le design fran­çais. On travaille d’ailleurs beaucoup avec l’Union des marques et ils apprécient notre vision générique du design. Je n’ai pas un ego sur-dimensionné mais re­connaissons quand même que faire appel à Lonsdale est quasiment un gage de légitimité. Ainsi, monter une brand academy avec Lonsdale, franchement, cela ne fait pas débat.

Justement, comment voyez-vous la marque au­jourd’hui?

F.M. Clairement, le débat sur la marque préoccupe de plus en plus de monde. Il n’y a jamais eu autant de convergences des offres de la part des annonceurs : il faut par conséquent se distinguer et la marque est un excellent levier – disons même un enjeu majeur. D’ailleurs, on vient d’organiser une exposition à l’agence pour montrer et démontrer ce qu’est la singularité, parce justement qu’il est difficile de la faire émerger. La question que je pose toujours à de futurs clients est « en quoi le monde serait différent si vous n’existiez plus ». Si le client ne répond pas, c’est que la singularité est absente.

Quelles seront les prochaines 60 années pour Lonsdale?

F.M. Les 60 prochaines années seront pour nous un rebond que l’on peut caractériser selon deux axes : d’abord, travailler encore plus la partie conseil en stratégie de marque car le sujet de la marque devient de plus en plus complexe – c’est-à-dire que nous de­vons avoir des profils que l’on n’a pas encore et donc des projets de recrutement en la matière. Ensuite, appuyer la partie innovation de l’offre – c’est-à-dire réfléchir comment la marque peut aider une offre à émerger. Tout cela va bien entendu va nous conduire à aborder le modèle économique des marques – contenu, distribution et digital : nous devons avoir une vision stratégique globale de la marque et son écosystème – qu’il s’agisse d’une marque d’entre­prise, de lieu ou d’enseigne. Quant au second axe, il correspond à la façon dont nous activons la marque – au sens large – tout cela dans un esprit d’expérience multipoints de contact. Je crois d’ailleurs beaucoup à l’alignement des points de contact et notre boulot consiste aussi à conseiller les clients pour que l’en­semble de leurs parcours soit optimisé. À défaut, le consommateur pensera que la marque veut abuser de sa confiance car la promesse qu’on lui a faite ne pourra être tenue. Pour moi, la cohérence est pri­mordiale. Il ne faut pas que la qualité des points de contact soit trop dispersée en termes d’écart type. L’expérience doit être alignée. Et j’inclus bien sûr les impacts RSE dans l’expérience. Par exemple, en bas de chez moi il y a en permanence cinq ou six livreurs de restauration à domicile qui travaillent sous la pluie, la plupart du temps. On voit bien que si le confort des uns fait le malheur des autres cela ne marche pas. Pour une marque, être RSE, cela si­gnifie prendre en compte l’ensemble des parties prenantes et pas seulement le client. Bref, vous l’au­rez compris : notre objectif est de faire le lien, via le design, entre les consommateur et l’expérience de marque. Pour ce qui concerne notre taille, je pense que l’on devrait pouvoir doubler dans les dix à venir ans, notamment grâce à l’international. On doit s’in­téresser sans doute encore de plus près à l’Asie et aux USA. Sur la France, il reste des leviers à optimiser – j’en parlais tout à l’heure: consulting et stratégie de marque. Et puis, n’oublions jamais que le maître mot chez Lonsdale est l’excellence de l’exécution. On gagne un client sur une idée géniale mais on le perd sur un détail d’exécution. Donc, on doit impérative­ment rester centrés là où on est bon. Par conséquent, on ne sera jamais un groupe généraliste : on ne fera jamais de la pub, cela ne nous intéresse pas. Ce n’est pas notre métier. Et puis j’ai passé l’âge de faire des claquettes en tutu. Je ne vais pas vendre ce que je ne sais pas faire. De toute façon, dès que l’on sort de l’excellence, on est mort, en particulier sur le plan économique.

Un message pour terminer?

F.M. On a tous un intérêt, une opportunité à faire grandir nos métiers. Les patrons du CAC 40 savent désormais que la marque est un levier de croissance exceptionnel. Notre combat collectif consiste à dé­montrer et illustrer très concrètement combien la marque est devenue un formidable levier de mana­gement.

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