En enterrant la marque Twitter au profit de X, Elon Musk semble vouloir marquer la transformation du réseau social. Un pari risqué quand on voit la difficulté des gens à s’approprier ce nouveau nom. Une tribune de Frédéric Messian.
Fin juillet, Elon Musk disait adieu à la marque Twitter, avec un rebranding radical, faisant table rase de quinze ans d’oiseau bleu. Pourtant, il y a quelques jours, un sondage relevait que 69% des utilisateurs américains de la plateforme continuent de l’appeler Twitter. Et au vu du nombre d’articles qui mentionnent systématiquement « X (ex-Twitter) », force est de constater que ce changement d’identité peine à prendre vie.
C’est d’abord le cas à cause de son identité. « X, nom du secret, appellation de la chose inconnue, je te vois inscrit dans les cieux », évoque Paul Valéry, dans son Alphabet. X est un symbole que le patron de SpaceX et xAI affectionne car il évoque la tech, la science-fiction et les mathématiques. Mais depuis les années 80, la lettre est aussi symbole de porno, et le territoire de marque radicalement « art déco » renforce cette impression sulfureuse.
Si son appropriation est aussi laborieuse, c’est également que des pans entiers de la marque semblent ne pas avoir été anticipés, à l’instar de son langage. Les utilisateurs continuent à se définir comme des twittos, et l’affirmation d’Elon Musk selon laquelle les tweets seront désormais appelés « X » se heurte à une limite absurde : c’est aussi impossible à prononcer que le prénom que Musk a donné à un de ses enfants : X Æ A- 12… Comment fidéliser une communauté qui ne parvient pas à se nommer ?
Enfin, on a vu lancement mieux orchestré… Celui-ci s’est engagé dans un sentiment d’improvisation, à l’image du X géant posé sur le toit du siège de l’entreprise et aussitôt retiré. Pour rappel, Elon Musk a annoncé la décision de tuer le célèbre oiseau au cours d’un week-end ; le lundi, il a installé un logo X, créé par ses soins à partir d’un crowdsourcing, et qu’il a changé quelques heures après, affirmant que « le logo évoluera encore ». Déboussolant, quand on connaît la fonction repère d’un logo.
Ceci nous ramène à un principe simple du travail de la marque et du design : une idée n’est rien sans une parfaite exécution.
Le pouvoir d’un changement de marque
Pour les entreprises, la marque est devenue une colonne vertébrale. Elle donne une vision du monde, une orientation, indique un chemin. Elle constitue un outil projectif qui permet de dessiner l’avenir, et de le rendre crédible. Dès lors, les rebrandings sont l’un des outils les plus puissants dont disposent les entreprises pour signaler une transformation à un moment-clé.
Le degré de changement d’une marque reflète le niveau de transformation de l’entreprise : évolution ou révolution. Le lancement d’un nouveau produit, la nécessité de moderniser son image, peuvent nécessiter une évolution de la marque, le relift d’un logo, l’adjonction de nouveaux signes. Au fil des années, Google a peaufiné sa marque pour évoluer de moteur de recherche à expert de confiance en logiciels, matériel et paiements.
Mais lorsque les entreprises souhaitent changer de catégorie, un nouveau logo, un nouveau nom sont autant d’opportunités pour rendre leur transformation tangible. En ce sens, le passage de Twitter à X s’explique. La transformation est indéniablement à l’œuvre, avec un turn-over qui affleure les 80%, une révision des politiques de modération de la plateforme, une refonte de son fonctionnement et de sa monétisation.
Pour autant, était-il nécessaire de jeter avec l’eau du bain des actifs de marque puissants ? Ne pouvaient-ils pas évoluer pour refléter l’ambition d’une entreprise déterminée à conquérir le monde ?
Le succès de X dépendra de plusieurs facteurs : la capacité des dirigeants à travailler la cohérence et l’alignement de la marque, leur faculté à résister aux impulsions de son propriétaire et leur capacité à prouver que X est le reflet d’une vision qui s’inscrit dans le temps long.