Longtemps cantonnée aux laboratoires de recherche, généralement invisible dans ses applications quotidiennes, l’IA est désormais sur toutes les lèvres. La faute à OpenAI et son chatgpt dont la courbe d’adoption a battu tous les records en quelques semaines seulement.
Incarnations tangibles des changements à l’œuvre, les premières réalisations liées aux métiers du design et de la marque et intégrant l’IA sont déjà là. Ainsi le Groupe Bacardi a-t-il lancé en début d’année sa toute première campagne de communication conçue avec l’aide d’une IA pour la marque Martini. Ou encore Renault, qui a lancé à l’occasion des 30 ans de la Twingo une campagne participative invitant le grand public à imaginer et réinventer leur propre version de la Twingo grâce à des générateurs d’images tels que Dall-E ou Midjourney.
Depuis, les spéculations vont bon train sur l’impact que cette nouvelle technologie va avoir sur les métiers du design et du branding.
On ne reviendra pas ici sur les limites actuelles de l’IA, que ce soient la question de la traçabilité des sources et des responsabilités qui en découlent, la qualité de certaines de ses productions, ou le rapport douteux que l’IA entretient avec la vérité et les “faits”. Sam Altman, un des cofondateurs d’OpenAI, déclarait lui-même il y a peu que
“ChatGPT est incroyablement limité, mais assez bon pour certaines choses, pour créer une impression de grandeur. C’est une erreur de s’y fier pour quoi que ce soit d’important.”
Ce qui interpelle, c’est plutôt que ces limites semblent être faites pour être dépassées, si l’on en croit la rapidité avec laquelle les usages évoluent, à mesure que les outils se sophistiquent et que les barrières (technologies, interfaces, environnement juridique) se lèvent. Derrière l’arbre ChatGPT se cache une forêt d’applications, toutes plus ingénieuses que les autres, qui réinventent des pans entiers de nos métiers à l’aube d’une vraie révolution cognitive.
Ce qui est certain, c’est que l’IA représente un nouvel outil au service des designers. Tous les métiers de la création à la transformation de contenus sont impactés, à travers l’automatisation (et non pas le remplacement) de certaines fonctions. Bien utilisée, elle représente en effet un gain de temps, voire d’inspiration et de créativité, par les nouvelles voies d’exploration qu’elle ouvre.
Mais c’est oublier un peu vite que la mission d’une agence de design et de branding ne consiste pas uniquement à produire des “livrables” (stratégiques ou créatifs) à la chaîne au service de ses clients. Au cœur de la mission d’une agence, on retrouve en effet trois maîtres-mots qui semblent échapper au mouvement de fond déclenché par l’IA : singularité, cohérence et sens.
1. Singularité tout d’abord. Demandez à ChatGPT de vous écrire le descriptif de l’activité de Sanofi. Il vous proposera un texte très clair, avec tous les bons mots clés. Faites ensuite l’exercice de rentrer ce texte dans Google. Les résultats de recherche vous montreront que tous les grands laboratoires pharmaceutiques tiennent des propos largement similaires. En somme, vous aurez avec l’IA un texte qui « coche les cases », mais qui ne démarque pas Sanofi de ses concurrents directs. En effet, si l’IA élève le niveau de jeu grâce aux gains de productivité et de créativité qu’elle promet, elle le fait de la même manière pour tous. Ce côté standardisé est le corollaire de sa démocratisation éclair et de sa diffusion massive. Le besoin de singularité, lui, se fait en revanche toujours sentir, pour faire émerger les marques sur des marchés de plus en plus compétitifs. Cela exige une capacité à construire un lien singulier, émotionnel, entre la marque et ses publics. Et cette longueur d’avance, cette audace, ce pas de côté, seul l’esprit humain est aujourd’hui en mesure de l’apporter.
2. Cohérence ensuite. Le design ne consiste pas à exécuter des prestations isolées, mais à penser la marque comme un tout, faisant système. Il semble prématuré de déléguer la fonction de penser la marque, dans toute sa profondeur et toutes ses facettes, à des outils qui permettent la déclinaison à l’infini de contenus, mais sans garantie de cohérence. S’il y a bien une fonction déléguée aux agences qui devrait devenir plus nécessaire que jamais, c’est celle d’être brand guardian, voire de devenir brand curator.
3. Le sens, enfin. Qu’allons-nous faire de ces outils IA au potentiel formidable ? Un énième outil destiné à démultiplier la productivité et les profits des entreprises, quitte à engendrer son lot de dérives ? Dans la scène finale du film-culte Batman Begins de Christopher Nolan, le commissaire Gordon déplorait face à Batman “l’escalade” de la violence, tant du côté des hors-la-loi que des forces de l’ordre : “Nous nous équipons de fusils semi-automatiques, ils achètent des armes automatiques. Nous portons des gilets pare-balles en kevlar, ils s’équipent de balles perforantes”. L’escalade au suréquipement en IA n’est-elle pas en elle-même un problème, comme semblent le penser les pétitionnaires du 29 mars, regroupés derrière Elon Musk et Steve Wozniak, et qui demandent un moratoire de 6 mois sur l’IA ? Et si, plus largement, notre responsabilité à nous, experts du design et de la marque, était de montrer la voie de ce que serait un usage responsable de l’IA ?
C’est en replaçant les enjeux de la singularité, de la cohérence et du sens au cœur de nos interventions au service des marques que nos métiers du design continueront de faire la preuve de leur utilité. Pour construire des marques singulières, leaders et responsables. Ce qui, au fond, n’a jamais cessé d’être notre raison d’être profonde.